J’y pense et puis j’oublie

J’ai lu un jour que la personne la plus jeune à avoir été atteinte de la maladie d’Alzheimer n’avait que 29 ans. Je me demande parfois si je n’ai pas un Alzheimer de naissance. Il faut dire que l’oubli chez moi, c’est une seconde nature. Je ne compte plus le nombre d’objets perdus, clés, lunettes, téléphones portables, sacs à mains, portefeuilles…

Je suis un test ambulant sur l’honnêteté humaine. Ainsi, je peux vous garantir qu’un sac à main oublié dans un TGV a peu de chance d’être retrouvé intact. Que les gamins qui vous succèdent dans le vestiaire du gymnase municipal ne connaissent pas forcément l’usage des tickets restaurants et qu’ils préfèrent vous délester de 15 euros que d’un carnet tout neuf de tickets resto. Qu’il est possible de retrouver sa voiture à sa pace même en ayant laissé les clés sur le contact ou bien en évidence sur la porte ou le coffre. Qu’il n’y a pas que des voleurs et des violeurs ou alors que ceux-ci ne cherchent pas forcément la simplicité et ne s’attaquent pas en priorité aux logements dans lesquels ont a laissé la clé sur la porte.

Avec moi, il faut savoir que tout peut arriver.

Que je suis capable de plonger d’un bateau avec des lunettes de soleil à ma vue toues neuves sur le nez. Au large. De préférence en eau assez profonde pour que toute tentative pour retrouver lesdites lunettes soit vouée à l’échec.

Que je peux me débrouiller pour perdre de façon définitive (enfin, peut-être pas, cela ne fait que deux mois après tout), la clé de la tondeuse dans un temps record et un espace limité (30 secondes, sur le trajet du garage à ma cuisine, sans m’en apercevoir et sans rien tenir d’autre que cette clé à la main).

Qu’il m’est possible d’effacer un document important représentant de longues heures de travail, persuadée de l’avoir sauvegardé sur mon disque dur alors que, non, en fait c’était juste une illusion, mais franchement ce serait trop bête de vérifier n’est-ce pas.

Qu’une valise peut contenir beaucoup de choses, mais pas forcément l’essentiel, comme un maillot pour des vacances à la mer ou pire encore le moindre sous-vêtement.

Que tout objet perdu peut ressurgir à l'endroit le plus improbable. Comme un téléphone portable au fond de la poubelle de la cuisine, sous les épluchures de légumes et le pot de compote vide de Petit dernier.

Le plus inquiétant dans tout ça, c’est l’aspect génétique de la chose. Quand on connaît mes parents, on comprend que je pouvais difficilement y échapper. Ma maman a un jour retrouvé son jeu de clé dans le congélateur, abandonné là en même temps que les surgelés qu’elle s’était empressée de mettre au frais. Mon papa lui, a déjà alerté son assureur pour vol de véhicule, alors que sa voiture l’attendait bien sagement là où il l’avait garée… dans la rue d’à-côté. Le plus sévère des juges ne pourrait que m’accorder les circonstances atténuantes dans ce contexte.

Mais le problème, celui qui me turlupine, ce n’est pas tant mes parents qui à part un nombre faramineux de parapluies ou briquets semés un peu partout ne s’en sortent pas trop mal. Ce n’est même pas moi, puisque depuis le temps, je me suis habituée à la chose. Non ce qui me préoccupe aujourd’hui c’est ma sauterelle qui a une fâcheuse tendance elle aussi à tout oublier. Aujourd’hui, c’était ses affaires pour le cours de piano qu’elle attend avec impatience toute la semaine. Hier les papiers à signer pour les sorties scolaires de l’année. L’autre jour, la levure pour le cours de sciences, achetée au dernier moment (parce qu’elle avait oublié de m’en parler) mais laissée sur la table de la cuisien le matin de l’expérience. Et je vous passe cartable, resté dans l’entrée le jour de la rentrée des classes. Remarquez, elle ne nous coûte pas cher, elle oublie même de nous rappeler la date de son argent de poche (une fois toutes les deux semaines). Or, comme évidemment, elle ne doit pas compter sur moi pour lui y faire penser…