Jurée d'un jour #2

Publié le par elodie

Après la formation du jury et l’appel des témoins et des experts (il n’y a pas de partie civile dans ce procès, l’accusation revient donc au seul ministère public), , le président annonce une première suspension d’audience et la cour (dont je fais partie pour cette fois) se retire. Je découvre alors l’envers du décor : une petite salle de réunion, toute simple, avec sa cafetière (alléluia !) quelques bouteilles d’eau, un thermos d’eau chaude et du thé. Le président du tribunal, un homme à l’air sévère mais extrêmement humain et ouvert, nous donne quelques conseils. Après quelques coups de téléphone et un café,  on retourne dans la salle d’audience. Les choses sérieuses vont commencer.


Les choses sérieuses, c’est d’abord la lecture de l’ordonnance de mise en accusation. Le greffier lit ce long texte qui ne se contente pas de raconter les faits mais retrace la vie de la jeune femme, que j’appellerai ici Amélie. Même si le seul secret auquel je suis tenue est celui des délibérations, l’histoire de cette jeune femme n’est tout simplement pas la mienne, et je ne me sens pas le droit de la publier sans au moins préserver un peu de son anonymat. L’ordonnance de mise en accusation raconte dons les expériences professionnelles de l’accusée (dans le secteur social et de l’aide aux personnes), ses échecs sentimentaux (pitoyables).


Il évoque aussi les faits, dans toute la froideur d’un énoncé juridique : la naissance dans la joie d’un premier enfant suivie à peine quelque mois plus tard d’une seconde grossesse passée inaperçue, l’accouchement seule dans la salle de bains en septembre 2006, le bébé étouffé, le compagnon qui appelle les secours croyant à une fausse couche, la révélation. Et puis la procédure, la détention provisoire pendant 3 mois, la mise sous contrôle judiciaire ensuite.


Bien plus émouvants, les mots d’Amélie, qui répond aux questions du juge. Non sur son acte mais sur ce qu’elle est, ce qui a fait d’elle cette femme qui un jour a tué son nouveau né. Un des objectifs d’une cour d’assises est de cerner la personnalité de l’accusée et on apprend plus sur elle que sur des gens qui nous sont proches. La jeune femme ne cherche pas à tirer les larmes du public, ou à susciter l’indulgence. Ce sont ses non-dits et l’instance du juge qui révèle toute la solitude de sa vie.  « J’aime aider les autres », avoue-t-elle ainsi en parlant de sa vie professionnelle. Mais quand l’avocat général lui demande « Et vous, vous vous confiez à qui ? » elle répond d’une petite voix presque honteuse « à personne… ».


Le reste de la matinée  est consacré aux experts, psychologue et psychiatre, qui décortiquent la personnalité de la jeune femme et évoquent en long en large et en travers le déni de grossesse. Parce que l’un des aspects de cette affaire tourne autour de cette affirmation qui nous stupéfait tous : l’accusée tombée enceinte pour la seconde fois début janvier 2006, alors qu’elle était en congé parental, ne s’est aperçue de son état qu’après la reprise de son activité, fin juin. Et encore, s’agissait-il apparemment d’une « certaine conscience de son état ». La seule chose qui lui met la puce à l’oreille sur cette éventuelle grossesse c’est qu’elle vient juste de reprendre le travail, mais ne parvient pas à retrouver l’énergie qui était la sienne auparavant. Comment une femme de 26 ans, déjà mère qui plus est, peut ne pas réaliser qu’elle est enceinte avant sept mois de grossesse ?


Sceptique au départ, je me sens peu à peu gagnée par les explications de la psychologue qui collent avec le peu que je connais du fonctionnement psychique. Amélie n’est pas un cas isolé. Des femmes comme elles, qui heureusement, n’en viennent pas forcément à tuer leur nouveau-né, il y en a d’autres et toutes répètent la même chose : elles continuent à avoir leurs règles, elles ne sentent pas les mouvements du fœtus, elles prennent peu de poids. Il semblerait même, selon certains médecins, que le fœtus pourrait adopter une position plus discrète dans le ventre de la mère, comme s’il cherchait à se faire oublier.


Et lorsque l’accusée pense être enceinte, elle ne le vit pas non plus en ces termes. Elle continue à s’auto-persuader que s’il y a grossesse, il ne peut y avoir naissance, que si elle ne ressent aucun mouvement, c’est qu’il n’y en pas et qu’elle ne peut porter qu’un « corps mort ». A aucun moment elle ne fait de test de grossesse. Si elle peut imaginer être enceinte, elle ne saura donc jamais à quel moment elle peut accoucher. Et c’est ce qui marque vraiment le décrochage de la réalité. Parce que après tout, même un enfant mort doit bien « sortir » un jour du ventre de sa mère. Elle peut peut-être imaginer une fausse couche simple au départ, mais le temps passant, elle devrait songer que cela va poser problème. Les psychiatres résument ceci par une formule « l’espérance immature d’une issue magique ».


Publié dans Ma p'tite vie de fille

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F
une issue magique... cela fait effectivement penser aux bloquages que l'on peut avoir étant enfant qui font espérer que tout va s'arranger comme ça, d'un coup...<br /> quelle solitude...
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E
<br /> oui c'ets tout à fait ça, cela fait penser à ctete période de la petite enfance où la frontière entre réel et imaginaire n'existe pas.<br /> <br /> <br />